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Cameroun : Du fond de son bagne, le journaliste Amadou Vamoulke s’insurge : "La vérité se vengera"

Par Chef Aby | Africain.info | lundi 25 mai 2020
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Cameroun - LIBERTE DE LA PRESSE

L’ONG Reporters sans Frontières a saisie en fin de semaine dernière, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la santé, M. Paul Hunt, pour lui demander d’entreprendre une démarche auprès du gouvernement du Cameroun, pour obtenir la remise en liberté et la protection du journaliste Amadou Vamoulke, ancien directeur de la RadioTélévision nationale, incarcéré sans jugement depuis bientôt quatre années, à la prison centrale de Yaoundé où, selon un récent rapport de Amnesty International, Coronavirus fait progressivement son nid, avec quelques victimes déjà. Ici, le journaliste épluche lui-même son dossier et les conditions de sa détention. Une véritable géhenne pour ce bagnard !
[photo : Une manif récente des journalistes de RSF devant l’Ambassade du Cameroun pour réclamer la libération de Vamoulke]

« Local 131. C’est la cellule de la Prison centrale de Kondengui, à Yaoundé, devenue ma demeure depuis le 29 juillet 2016. Lorsque chacun de ses dix occupants (pour 20 mètres carrés) s’est glissé sous son drap, il m’arrive, avant d’arriver enfin à trouver le sommeil, de revivre ces émotions fortes qui m’avaient étreint au lycée lorsque que le professeur d’histoire racontait la traite négrière. J’imaginais un de ces esclaves enchaînés, assis courbé dans une cale et se demandant : "Mais que fais-je ici ? Où allons-nous ? Quels Dieux ai-je pu offenser et quel prix paierai-je pour ma rédemption ?" L’esclave d’alors n’avait pas de réponse, pas plus que moi aujourd’hui, puisque je ne saurais me satisfaire de celle que me donne la justice de mon pays : "Détournement de deniers publics par gonflement artificiel de la Redevance Audiovisuelle" au seul profit de la CRTV que je dirigeais alors. » Ainsi se raconte Amadou Vamoulke.

30 RENVOIS D’AUDIENCES - 1498 JOURS DE PRISON

La Prison Centrale de Kondengui à Yaoundé, 5000 prisonniers pour 1000 places, un mouroir

Amnesty International rapporte que, de nombreux cas suspects de contaminations par le nouveau coronavirus, ont été enregistrés à la prison centrale de Kondengui - Yaoundé. Et confirme que deux prisonniers morts vraisemblablement du COVID-19 récemment, ont été enterrés en l’absence de leurs familles. Le journaliste Amadou Vamoulké qui y est incarcéré depuis longtemps. Âgé de 70 ans, il est malade et particulièrement vulnérable. Le Cameroun connait une surpopulation carcérale très marquée. Kondengui héberge aujourd’hui plus de 5.000 prisonniers. Des hommes, femmes et mineurs, embastillés politiques et de droit commun qui y sont entassés dans de vieux bâtiments, prévus au départ pour 1.000 places seulement.

Le prisonnier politique, Amadou Vamoulké relève que dans son affaire : « Il a été établi qu’il n’y avait eu ni détournement, ni gonflement, ni perte d’argent. La Redevance audiovisuelle est un impôt destiné à financer l’audiovisuel public. Cet argent est géré par le seul Trésorier Payeur Général. Qui peut penser que, venant des bureaux de la Cameroon RadioTélévision (CRTV), j’aurais pu m’introduire dans ses services pour y manipuler ses livres comptables et ainsi "gonfler" les chiffres qui s’y trouvaient ? Eh bien, dès lors que la justice d’ici l’a admis contre tout bon sens, je ne peux que subir ces nombreuses années d’emprisonnement illégal au regard de mon statut acquis d’inculpé libre ».

L’ex-directeur général de la CRTV, qui totalisait ce dimanche 1499 jours de détention, se demande encore si : « Ce défaut de charges crédibles justifie le record de 30 renvois de mon procès qui ne peut se tenir valablement et qui s’apparente à une comédie... dramatique. Car, ici, la messe est dite dès lors que vous êtes inculpé. Vous espérez à raison que la vérité si évidente à établir finira par jaillir. Ne voyant rien venir, vous vous raccrochez à l’espoir que les violations du Droit lors des différentes audiences seront dénoncées et finiront par être reconnues ».

UNE JUSTICE BROYEUSE DE VIES

L’homme de média est alors très amer, lorsqu’il conclut sur ce point que : « C’est ignorer que la justice ne repose pas sur les lois et que rien n’y changera, pas plus les délais légaux largement dépassés (détenu depuis plus de 1200 jours alors que la Loi fixe une limite de neuf mois) que les commissions illégales d’experts judiciaires qui n’en sont pas. Vous ne pouvez rêver d’aucun recours, car la Loi n’a pas prévu de procédure quand elle est violée par la justice. Vous comprenez alors que vous ne résoudrez pas la quadrature du cercle, pas plus que vos juges qui reçoivent parfois comme instruction de leur « hiérarchie » qu’ils doivent "défendre la position du ministère public jusqu’à l’absurde". On peut continuer à palabrer sur cette "justice indépendante" et sur la "séparation des pouvoirs" sensée empêcher le Garde des Sceaux de se mêler des procédures judiciaires ».

Amadou Vamoulke au tribunal, entouré de ses avocats

Amadou Vamoulke se pose plein de questions : « Quel cynisme il faut avoir pour m’empêcher d’aller me soigner à l’étranger alors même que les spécialistes camerounais et étrangers ont souligné l’extrême gravité de la neuropathie sévère dont je souffre désormais ? Ces mêmes experts ont demandé mon évacuation sanitaire compte tenu de l’absence des infrastructures nécessaires au Cameroun et du risque avéré de paralysie. C’est encore sans doute la “hiérarchie ” qui a décidé le 28 novembre de me priver non seulement de ma liberté mais aussi de toute l’assistance sanitaire dont j’ai un besoin urgent. Le Tribunal a encore dû se résoudre à « obéir » au mépris de la Loi et à rejeter ma demande de mise en liberté provisoire, qui s’imposait pourtant sur les plans humanitaire et juridique… Dès lors, à quoi bon invoquer, comme l’ont souligné mes avocats, la longue liste de “criminels” condamnés et libérés pour raisons médicales ? Vous avez dit “deux poids deux mesures” ? Vous vous demandez alors pourquoi cette justice broyeuse de vies, qui accable des personnalités de haut rang frappées de peines d’emprisonnement pour des durées entre 10 ans et 50 ans : Premier ministre, secrétaires généraux de la présidence de la république, ministres, recteurs d’université, DG d’entreprises publiques, préfets, maires, comptables publics. Pour ma part, je continue à m’interroger sans cesse sur l’acharnement dont je suis la victime. Ma carrière ne peut en être la raison, car mes collaborateurs, mon environnement, ma famille, tous plaident en ma faveur, mettant en avant ma probité et mon intégrité. Mais à quoi bon vouloir plaider ? »

UNE REPUTATION D’ELECTRON LIBRE ?

L’ex-directeur général de la CRTV, Amadou Vamoulke, dit ne pas comprendre la position du Chef de l’Etat camerounais, lui qui l’avait nommé à ces fonctions, le 26 janvier 2005 : « Le président Paul Biya pourrait lui-même témoigner en ma faveur, puisque c’est à lui que j’ai écrit, dès ma nomination, pour refuser d’hériter du salaire de mon prédécesseur, que je trouvais indécent et que j’ai ainsi pu diviser par quatre. Si ce n’est ma carrière, alors quoi ??? N’entrevoyant aucune raison crédible, je ne peux qu’en livrer en vrac quelques-unes, sans ordre hiérarchique : "il est hautain" (police, renseignement) ; il n’a rien à faire à la Crtv » (un ministre) ; "il a montré à la télévision la fille du président de la République en tenue légère" (vidéo montage réalisé à mon insu pour décider le chef de l’Etat à me démettre) ; "il a écarté l’entreprise de la fille du conseiller judiciaire du Chef de l’Etat de la CRTV" (ce qui est vrai, pour des raisons objectives) ; "il n’est pas fiable" (comprendre "contrôlable"), etc. Il est vrai que j’avais veillé à ce que le professionnalisme ne soit pas trop sacrifié aux autres considérations incontournables. J’ai ainsi toujours veillé à placer le curseur, notamment éditorial, le plus près possible de l’équilibre sans prendre le risque d’aller trop loin pour ne pas tout briser. Malgré les contraintes (pressions), je pense avoir réussi à réconcilier le public avec sa radiotélévision publique qui doit se situer « au cœur de la Nation », un slogan que j’ai conçu et forgé pour la Crtv. Il est aussi vrai que j’avais signé, en tant que président de l’Union des Journalistes du Cameroun (UJC), un mémorandum directement adressé au Gouvernement pour demander rien de moins que la libéralisation du paysage audiovisuel ainsi que la dépénalisation des délits de presse. Ces actions m’ont valu de fortes pressions et ont bâti une réputation d’électron libre, c’est-à-dire, dans le contexte national, d’une personnalité indésirable ! »

LIBERTE DE PRESSE AU CAMEROUN : UNE PARODIE ?

Avec une grande déception, le journaliste Vamoulke constate pour conclure que : « Aujourd’hui encore, par naïveté ou bien par confiance dans le devenir de mon pays, je n’arrive pas à admettre que tout cela puisse justifier l’acharnement judiciaire, mon emprisonnement illégal ainsi que le traitement inhumain dont je suis la victime. Je suis en effet privé d’examens et de traitement médical adaptés à ma neuropathie sévère récemment diagnostiquée et pour laquelle je reste privé de tous soins, au risque de perdre l’usage de mes membres inférieurs. J’ai bien conscience qu’exposer aujourd’hui ouvertement la prise en otage de la justice de mon pays n’est pas de nature à émouvoir les acteurs incriminés qui se croient encore inébranlables. On prête ainsi à l’un d’eux, habitué des propos truculents, d’avoir dit "Si vous m’attendez au jugement dernier, sachez que je n’y viendrais pas". Je voudrais continuer à espérer que ces paroles d’un penseur du XlXème siècle nous apparaîtront un jour comme une vérité dont il ne faut pas trop s’éloigner : "la vérité se venge, et quiconque la hait ou la méprise, tôt ou tard sera sa proie". »

La prochaine audience, la 30ème, du procès de cet ex-directeur général de la CRTV, devant le Tribunal criminel spécial (TCS) de Yaoundé, est programmée pour ce mardi 26 mai 2020. Il faut relever que le cas d’Amadou Vamoulké, n’est pas unique au Cameroun. Plusieurs autres journalistes croupissent actuellement dans les geôles du pays, pour la plus part sans jugement. Reporters sans Frontières classe d’ailleurs le Cameroun au 134ème rang des 180 pays dans le monde, où la liberté de presse ne serait qu’une farce.

CHEF ABY

 
 
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