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Sahel africain et souveraineté

Par Zachée Betche | Africain.info | jeudi 1er février 2024
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La notion de souveraineté africaine animée depuis le sahel inquiète d’un côté et enchante de l’autre. Outre sa militarisation, la question qui semble plus se poser depuis l’Occident est son incompatibilité d’avec la démocratie dont l’alternance et les élections consolident la manifestation. La démocratie en soi est ontologiquement respectable. L’on peut même s’attarder à la définir ; tant elle est passée dans l’ordre de valeurs de la civilisation universelle et non seulement occidentale comme cela est reçu dans l’imaginaire collectif. La centralisation hellénistique est, suivant cette perspective, indéniable. Gouvernement du peuple (démos) par le peuple, ce dernier en est véritablement le noyau.

Mais soulignons aussi que son concept paraît bien plus large même dans le concert des nations occidentales en général et ouest-européennes en particulier. Les modèles germanique, hexagonal ou helvétique, par exemple, ne sauraient se confondre du fait de leur coloration ou leur historicité ; même si l’idée de la volonté du peuple est leur pierre angulaire. La démocratie telle que Jürgen Habermas le définit n’est pas une vision totalement partagée du fait qu’elle manque quelquefois à sa réelle dimension délibérative. L’égalité des citoyens ou la prépondérance de ces derniers ne se vérifie toujours pas dans l’actualité courante suivant les états dits démocratiques à travers l’espace. L’introduction du libéralisme dans la vision socio-politique de la démocratie permet-elle d’expliciter véritablement l’idéal d’égalité citoyenne et partant – si nous considérons la place des pays au monde – de chaque forme d’individus ?

Le paradoxe est entier dans le concert des nations mondiales. Le ressenti global africain qui se justifie notamment par l’aliénation évidente de ses droits dans une foultitude de domaines, n’embarrasse pas la société post-industrielle démocratique qui ne s’interroge pas tant sur l’individualité de chacune de ces nations dites d’En-bas. On assiste à des sommets qui regroupent, tambour battant, de pays entiers en blocs homogènes et un seul état extra-africain. Ce qui semble aller de soi au motif des intérêts bilatéraux d’un autre ordre ou d’une multi-latéralité audacieuse et suspecte. Une telle aberration marque la phase transitoire d’un monde qui risque de ne plus exister.

La souveraineté des pays africains vacille de facto parce que la non-reconnaissance de ses individualités ne correspond pas à une vision démocratique d’ensemble. L’éthique d’un vivre-ensemble élargi aux états-nations (inter-nations) ne peut se résoudre dans ce contexte aussi questionnable. Ici, l’extrême naïveté voudrait que l’on passe à côté de l’évidence historique. Celle-ci est adossée à l’idée rudement primaire digne de la logique des rapports selon laquelle la périphérie enrichit l’Empire. Karl Marx l’a bien compris et son analyse, telle une foudre de l’évidence, s’impose sans le support d’un quelconque référentiel idéologique.

Le drame (in)sécuritaire au sahel africain a entraîné cette considération primordiale souverainiste qui n’a pas été envisagé par les spécialistes du monde géopoliticien habitués aux narratifs courants. Or, le XXIe siècle est une étape importante de l’évolution du monde qui intègre réalistement la notion d’hétérogénéité dans ses rapports à lui-même. Pourtant, la logique dominante en Occident reste solidement bi-polariste (ou binaire) du fait de la Guerre froide et de sa maîtrise de la globalisation dans une périodicité inscrite dans des temporalités à l’agonie. L’irruption du conflit russo-ukrainien vient raviver tout ce qui précède et ne permet, dans l’imaginaire occidental global, aucun autre possible.
Or, la souveraineté signifie ses propres choix, ses retournements au gré de ses intérêts politiques, sécuritaires, culturels, économiques, monétaires etc. autonomes. Le sahel africain semble profondément entré dans l’actionnariat populaire qui défie le libéralisme capitaliste dominant et démystifie sa puissance. L’échec de la lutte contre l’hydre terroriste dite islamiste laisse exsangue et autorise d’autres narratifs. De même les élections à répétition n’ont pas clairement suscité l’objectivité espérée du fait d’innombrables intrusions malgré ces investissements émotionnels et financiers trop lourds pour des pays dont le président français Jacques Chirac avait prophétisé que la démocratie leur serait « un luxe ».

La non alternance démocratique qui est reprochée aux sahéliens révoltés rencontre l’urgence de leur souveraineté. Or, vu d’Occident, une telle souveraineté est factice du fait de sa militarisation par des partenaires différents, honnis et/ou diabolisés. Impossible de voir la chose sous un autre angle que celui d’une autre domination en cours de ces « pauvres » africains à sauver. Ce récit passe pour un catéchisme incontournable dans le corpus géopolitique reçu.

Or, la reconfiguration du monde est une donne que nul ne saurait occulter dans cette ère protéiforme qui reconsidère les différents mythes suivant l’analyse du Congolais Kä Mana que je revisite ici. En effet, dans son essai d’éthique politique L’Afrique va-t-elle mourir ?, ce dernier énumère des concepts qui résonnent dans l’univers africain global : identité culturelle, indépendance, la démocratie, le développement, etc. et les analyse comme étant des mythes puissants qui envahissent l’esprit. J’ajouterai volontiers la post-colonie, l’alternance démocratique, etc. Ces derniers entrent dans une confrontation directe avec la réalité mouvante et massive d’un monde ouvert à sa propre nouveauté. Celle-ci, non seulement concerne l’ensemble du globe, ouvre aussi la possibilité d’un basculement dans une lecture beaucoup plus rigoureuse et profonde. L’affranchissement des blocages historiques est imperturbablement la clé de compréhension nouvelle et novatrice à la fois. Ainsi, faudra-t-il comprendre que le monopolisme est en voie d’être dépassé dans un monde où des souverainistes sahéliens apparaissent finalement comme un épiphénomène ou un cinglant avertissement.

Par Zachée Betche, philosophe
Neuchâtel - Suisse

 
 
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