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Cameroun : Covid-19 l’ennemi invisible, Paul Biya, Maurice Kamto et l’économie politique de la visibilité

Par Thierry AMOUGOU | Africain.info | samedi 2 mai 2020
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La société camerounaise connait une problématique de la visibilité dont on peut esquisser une économie politique. De façon concomitante, ce pays fête la visibilité liturgique du Christ ressuscité, subit le surgissement d’un ennemi invisible (covid-19) et assiste à une joute politique sur l’invisibilité de Paul Biya.

Maurice Kamto et le pouvoir classique : un one man show

C’est à Michel Foucault que nous devons une analyse originale du pouvoir à travers une économie politique de la visibilité. Pour cet auteur, le pouvoir se loge dans les relations sociales, mieux, les relations sociales sont des relations de pouvoir. Sous ce prisme, le pouvoir classique se matérialise par un one man show constant caractérisé par le fait que le big man ou l’homme fort se fait voir et met tout le monde sous éteignoir afin que seule son image émerge, brille de mille feux et écrase toute la société par une iconographie et une présence physique autant triomphantes que dominantes et héroïques. Si, dans le cas de la France, cela évoque le Roi Soleil se pavanant devant ses sujets en tenue d’apparat de luxes, pour l’Afrique, la figure dont l’accoutrement et les attitudes publiques évoquent le pouvoir classique est celle du Maréchal Mobutu. Se faire voir en mettant les autres sous éteignoir est donc une relation de pouvoir classique matérialisée par la faculté qu’a l’homme fort de se tenir de façon fière et arrogante devant ses sujets et par la possibilité qu’il a d’envoyer n’importe qui aux oubliettes.

La pandémie covid-19 montre, même si l’Europe n’est plus à l’âge classique, une omniprésence des présidents et des chefs de gouvernements dans les médias. Le moment politique qu’est le covid-19 est celui où il faut se rendre visible dans le combat contre une ennemi invisible. Maurice Kamto a saisi cet enjeu de pouvoir en montrant aux Camerounais comment se laver les mains, et en initiant un fonds de survie censé venir en aide aux populations. Au Cameroun, le confinement, les gestes barrières et le dépistage sont en place. L’équipe gouvernementale en charge de mener « la guerre » au covid-19 est omniprésente dans les chaines de télévisions. Le président camerounais Paul Biya est cependant resté en retrait, invisible. Situation dénoncée par l’opposant Maurice Kamto qui, ainsi, démontre à la fois que la visibilité du président reste un argument de pouvoir, mais aussi que la mise en scène du corps des chefs rassure les populations. L’opposant politique montre ainsi la défaillance physique du président camerounais âgé de 87 ans en dénonçant son invisibilité au front de la bataille contre le covid-19. C’est donc à dessein qu’il feint de ne point voir l’activité du corps politique du chef de l’État qu’est l’action gouvernementale dans la lutte contre le covid-19. Il apparait, en pleine crise sanitaire, que le social distancing, marque déposée du président Biya depuis 38 ans de pouvoir, est d’autant plus exploité politiquement par Maurice Kamto que celui-ci est conscient, étant donné l’âge avancé de Paul Biya, que celui-ci ne peut être omniprésent dans les médias comme les autres chefs d’État à travers le monde. L’opposant Maurice Kamto espère non seulement construire son image de chef d’État en occupant l’espace médiatique, mais aussi, par sa visibilité déclarative et gestuelle, mettre sous éteignoir le corps physique et son le corps politique de Paul Biya.

Paul Biya et le pouvoir panoptique : voir les autres sans être vu

Paul Biya est parvenu à se faire désigner en 1982 comme successeur d’Ahmadou Ahidjo en se rendant invisible dans le cercle des jeunes loups aux dents longues qui voulaient le pouvoir, le faisaient savoir publiquement et se montraient, à l’instar des feu Ayissi Nvodo et Samuel Éboua, prêts à diriger le Cameroun post-Ahidjo. Passer de l’homme privé à Prince, exige, d’après Machiavel, de savoir « qu’un homme privé, par définition dépourvue de force, ne peut en acquérir en quantité efficace qu’en cachant son intention de prendre le pouvoir. Ce qui caractérise en effet la force c’est qu’elle est visible ; la ruse du sujet politique doit la rendre invisible comme menace  ».

Ceux qui montrent leurs muscles politiques se font voir de tous, présentent publiquement leur ambition et courent le risque de se faire contrecarrer contrairement à ceux qui aspirent au même pouvoir mais feignent le contraire. Toute la différence de tempérament entre Maurice Kamto et Paul Biya se trouve à ce niveau car Ahidjo a choisi comme successeur celui de ses collaborateurs qui se montrait le moins intéressé par la magistrature suprême alors que Maurice Kamto se décide de torpiller un régime au sein duquel il été sept ans ministre. Si Kamto a des soutiens au sein de l’élite politique confinée en prison, dans la diaspora camerounaise et au sein de l’ethnie Bamiléké, combien d’ennemis se fait-il au sein du régime en place, des autres ethnies camerounaises et dans l’opposition camerounaise en faisant de son parti un État dans l’État, pire péché politique d’après le cardinal Mazarin ?

Depuis son arrivée à la tête du Cameroun, Paul Biya a construit son pouvoir sur la capacité de voir les autres sans se faire voir par eux. C’est ce que Michel Foucault appelle le pouvoir panoptique des chefs modernes. Ce que fait le monde entier aujourd’hui est de se confiner afin d’augmenter son pouvoir face au coronavirus qu’il veut rendre ainsi visible en regroupant des informations sur lui. Est ainsi mis en évidence, le fait que, contrairement au pouvoir classique, les maîtres/chefs modernes sont ceux qui peuvent voir le peuple, le discipliner, le surveiller ou le punir sans être vu par ledit peuple. Ce type de pouvoir a été utilisé par Paul Biya, qui, après avoir observé que Maurice Kamto surfait sur le fait qu’il était invisible pour évoquer une vacance de pouvoir, s’est rendu visible en rencontrant l’ambassadeur de France au Cameroun le 17 avril 2020. Le président camerounais fait donc étalage d’un pouvoir panoptique à travers lequel il est au courant de tout mais se rend invisible de tous. Comme le dit un proverbe camerounais, « l’argent et le pouvoir ont ceci en commun qu’ils font beaucoup de bruit là où ils manquent et très peu là où ils abondent  ».

Mentir, salir, condamner et mettre à mort : Facebook comme Golgotha

Les fakes news, depuis la campagne électorale de Donald Trump et celle relative au Brexit sont très efficaces dans les combat politique. Ils déroutent les opinions en diffusant le doute avec l’ambition d’enjoliver l’image et les opinions de celui qui veut accéder au pouvoir en faisant passer le faux pour le vrai et le vrai pour du faux. Le temps pascal montre que le Sanhédrin et les autres accusateurs du Christ, sont, si on se réfère à la Bible, des adeptes des fake news. Le but fut de discréditer l’image publique du Christ autant que son discours afin de le mettre à mort. Il y a donc, comme le montre Hannah Arendt dans Du mensonge à la violence, un lien direct entre la propagation de fake news, l’intoxication de l’opinion publique et la violence qui prend la figure de la condamnation et de la mise à mort.

Pour le Cameroun, les réseaux sociaux sont devenus une arène de gladiateurs politiques modernes dont les fake news, principalement du côté du challenger Maurice Kamto, en font le Golgotha au sens de lieu de lynchage, de condamnation et de mise à mort. Et comme les nouvelles technologies redistribuent démocratiquement à la fois le pouvoir classique et le pouvoir panoptique, les séides de Maurice Kamto ont annoncé la mort de Paul Biya de suite de covid-19 et ceux de Biya ont répliqué en annonçant la mort de Kamto de suite du même virus. La mise à mort du corps des maîtres/chefs témoigne donc de la visibilité comme constitutive du pouvoir parce que la mort est politiquement une défaite au sens où elle rend invisible le son corps des maîtres/chefs. « Il est ressuscité » par analogie au Christ ressuscité est, de ce fait, le titre choisi par la presse pro-gouvernementale pour souligner le caractère christique de Paul Biya après sa réapparition à la télévision après avoir été déclaré mort par les partisans de Kamto : l’image de Biya recevant l’ambassadeur de France au Cameroun utilise l’image à la fois comme auxiliaire de l’entendement et obus iconographique à fragmentation politique. Cependant, comme les fake news, leurs diffuseurs et le large public camerounais qui en raffole ont ceci de particulier qu’ils ne connaissent et de meurent de honte, les partisans de Kamto soutiennent désormais que Paul Biya n’est pas Paul Biya. Autrement dit, soit celui qui a reçu l’ambassadeur de France au Cameroun est un sosie parfait, soit les images de cette réception sont un sacré montage pour faire croire que le président camerounais n’est pas mort. D’où l’entrée de la scène politique camerounaise dans le monde de la post-vérité où le pays est dirigé par un sosie de Biya alors que Maurice Kamto est « le président élu » qui devrait être en poste. Il est de bon ton, afin de ne perdre la face et de ne discréditer l’image de son champion, d’aller crescendo dans les fake news.

Situation initiée par Maurice Kamto non seulement en considérant sa vérité individuelle (j’ai gagné la présidentielle) supérieure à la vérité institutionnelle (Paul Biya est vainqueur d’après le Conseil constitutionnel), mais aussi en inaugurant un post-thomisme politique (croire sans voir) qui revient à se dire vainqueur de la dernière présidentielle sans fournir aucune preuve matérielle. Aux masques contre le covid-19, s’ajoutent donc des masques langagiers, des images et des discours où des Camerounais font du sel des mots, de la puissance iconographique et de Facebook des vecteurs d’un virus de la haine dont ils s’auto-infectent pour un avenir politique aussi insaisissable que le covid-19.

Thierry Amougou, Economiste, professeur, Université catholique de Louvain (UCL)

 

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